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Cordes sensibles et transition écologique

Les posts écolos, ça a le don de m’énerver. Et pourtant, je suis Coach CO2, militante écologiste de longue date : on pourrait dire que je suis déjà pas mal écolo, genre ceinture marron ou quelque chose du genre.

Eh bien non : j’arrive toujours à être énervée par les posts « trop écolo ». Comme si j’étais le « hater-viandard-climatosceptique » de base.

Le dernier en date, c’était sur LinkedIn. Je fais ma veille vite fait, pour le boulot, et là, boum, je me prends un post en pleine tronche : l’impact écologique de la tondeuse à gazon.

Oui, celle qui fait plein de bruit, avec l’essence qui sent fort. Celle-là même que je comptais utiliser le midi même pour tondre la pelouse.

Première caractéristique du post trop-écolo : le chiffre faux. Le truc exagéré, qu’il te suffit de prendre deux secondes de recul pour te dire « nan franchement là, c’est pas possible ».

1h de tondeuse serait donc équivalent à… 320km de voiture ?! Non mais la blague ! Comment croire que je ferais mieux d’aller voir 6 fois mes parents à 50km avec titine que de rester peinard dans mon jardin à passer la tondeuse ?

Première source d’énervement : la diffusion des chiffres faux, ça discrédite la cause écologique. Ok, ce sont des posts qui font du buzz, mais du buzz en mal. Allez les gars, un peu de sérieux, quoi !

Alors du coup, je passe ma tondeuse et je vérifie : 1L d’essence à la grosse louche, pour 1 heure de tonte. Et 1L d’essence, avec du 5L aux 100, ça correspond à 20km de voiture. Pas 320.

Et franchement, 20km c’est déjà beaucoup, et ça m’aurait vraiment suffit, comme chiffre.

L’auteur du post cite une étude pour justifier son chiffre. Deuxième source d’énervement : je n’ai que ça à faire, peut-être, que d’aller lire un rapport de 200 pages pour trouver pourquoi le chiffre est sorti de son contexte ?

Heureusement, un expert de la mobilité confirmera en commentaire : 1L d’essence pour 1h de tondeuse. L’étude ne concernait pas le bon type de moteur.

Comme quoi, le gars aurait mieux fait de passer sa tondeuse dans son jardin pour connaître sa consommation, plutôt que de trouver un chiffre faux dans une étude à la mors-moi-le-nœud. Ça, ça s’appelle la dé-co-nne-xion.

Pourtant, je suis d’accord avec le propos original du post : tondre l’herbe, cela nuit à la biodiversité, cela empêche les fleurs de se développer, les petits bêtes de se cacher dans l’herbe. Voilà une bonne raison de laisser des herbes hautes dans son jardin !

Alors j’avoue : le chiffre faux, c’est juste le prétexte pour m’auto-justifier d’être aussi énervée.

Parce que la vérité, c’est que la tondeuse, ça touche une corde sensible.

Pas que la mienne. Le post fait réagir, des dizaines de personnes lui reprochent en commentaires d’être un bobo urbain sans jardin qui tape inutilement sur les tondeuses sans savoir ce que c’est ni à quoi ça sert.

Manque de bol, le gars n’est pas un bobo urbain. Il vit à la campagne, il a un jardin. Avec de l’herbe dedans.

Ben flûte quoi, pourquoi il tond pas son herbe, lui ?

Dans les commentaires, les « pro » abondent dans le sens de l’auteur en trouvant d’autres raisons de ne pas passer sa tondeuse : ça fait trop de bruit, ça gène le voisinage, et tout et tout.

Ça aussi ça m’énerve : trouvez UNE bonne raison et tenez-vous-y, bon sang, sinon ça dilue le propos ! Quand on donne 10 raisons de faire quelque chose, c’est probablement qu’il n’y en a pas une seule de bonne ! Et moi, j’aime quand les posts écolos ils ont de la cré-di-bi-li-té.

Bon. Toujours énervée par des détails. C’est quoi mon problème, avec la tondeuse ?!

Allez, il va me falloir un peu d’honnêteté avec moi-même : j’aime que la tondeuse soit passée. J’adore ça. Viscéralement. Un truc profond de malade.

Par moi, par mon conjoint, peu importe. Mais j’aime que l’herbe soit tondue.

Pourquoi ? Il y a deux raisons à cela.

La première, c’est que l’odeur de l’herbe coupée me renvoie instantanément à des moments magiques de mon enfance. Je suis juste accro à l’odeur de l’herbe coupée. Mélangée à des effluves d’essence, c’est encore mieux.

Allez lutter contre un truc aussi profond. Bon courage.

La deuxième raison, c’est que, en ce qui me concerne, passer la tondeuse répond à l’un des besoins psychiques fondamentaux de tout être humain. Serious fuckingly ? Yes.

D’après le livre « Connaître, aimer et guérir son enfant intérieur » de Stéphanie Stahl, ils sont au nombre de 4.

  • Le besoin d’attachement
  • Le besoin de satisfaction des plaisirs et d’évitement des déplaisirs
  • Le besoin de reconnaissance et d’accroissement de sa propre valeur

Et…

  • Le besoin d’autonomie et de contrôle

Le besoin de contrôle. Voilà, nous y sommes.

Quand l’herbe pousse de manière anarchique, j’ai la sensation de perdre le contrôle sur mon jardin.

Quand que j’aimerais passer la tondeuse, mais que je n’y arrive pas parce que

  • J’ai mon boulot à gérer
  • J’ai les enfants à gérer
  • Ma petite est trop petite pour se gérer toute seule
  • Il y a cinquante mille trucs prioritaires sur ma to-do-list
  • Je suis trop fatiguée parce que la petite ne dort pas encore bien

Cela me rappelle que

  • Monter sa boîte, niveau incertitude, c’est vraiment du top-niveau
  • S’occuper des enfants, c’est avant tout s’adapter à LEUR planning
  • S’occuper d’un bébé, c’est essayer de survivre jusqu’à la fin d’une la tornade qui dure 2 ans au bas mot
  • Le nombre de tâches à faire dans ma to-do list, étrangement, n’est jamais en train de redescendre

Et tout ça, ça renvoie à UNE chose : que je n’ai pas le contrôle sur grand chose en ce moment. Ou en tout cas, pas sur ASSEZ de choses.

C’est pour ça que, quand on arrive ENFIN à passer la tondeuse sur le bout de jardin où j’aimerais jouer au ballon avec mon grand, ce qu’on ne faisait plus depuis plusieurs semaines à cause de l’herbe trop haute ;

A chaque bande d’herbe coupée, je sens comme un poids qui s’enlève petit à petit de ma poitrine.

Mon soulagement est réellement, véritablement perceptible, à chaque bande de pelouse tondue.

Le soulagement est à la hauteur de ce que représente la tondeuse : le besoin de contrôle, un des 4 besoins psychiques de base de l’individu.

Le contrôle de choisir la hauteur de son herbe.

Le contrôle de virer les blettes qui poussent toutes seules (non mais sérieusement : des blettes dans la pelouse ! )

Le contrôle sur temps, puisque si je passe la tondeuse c’est bien que j’ai libéré du temps.

Alors je suis sûre d’une chose : si l’auteur du post dont je parlais plus haut, arrive à se passer complètement de la tondeuse, c’est que

  1. il n’a probablement pas d’attachement viscéral à l’égard de celle-ci
  2. il a probablement d’autres sources pour satisfaire son besoin de contrôle dans sa vie

(3, il n’a probablement pas besoin d’un terrain de foot où jouer avec ses enfants. Et 4, il aime les blettes.)

Voilà pourquoi les posts écolos de ce genre se prennent une avalanche de haters : ils touchent sans ménagement à des besoins vitaux de l’individu… et ne les prennent pas en compte.

Bon. Je me suis un peu calmée. Ayant identifié mon besoin profond, le simple fait de le reconnaître fait baisser la cocotte-minute.

Je peux commencer à me poser des questions sur le fond du sujet : devrais-je arrêter de passer la tondeuse ? Je regarde mon herbe, c’est vrai que des fleurs apparaissent spontanément aux endroits qui sont hauts.

Allez, c’est décidé, je laisse la moitié du jardin en jachères ! Bon, j’avoue, 1h à passer la tondeuse, c’est fatiguant et je commençais à en avoir marre. J’avais précisément besoin d’une bonne raison de tirer au flanc. Honnêteté quand tu nous tiens…

Sommes toutes, du moment que c’est MOI qui choisit les endroits à tondre et les endroits sauvages avec des fleurs, mon besoin de contrôle est satisfait.

J’ai aussi suffisamment d’espace à tondre pour sniffer l’odeur d’herbe coupée et d’essence régulièrement.

C’est un bon compromis. Je respecte mieux l’environnement ET je respecte mes besoins profonds. Je suis apaisée.

Et puis, là, j’ai un déclic : au fond, la tondeuse, on s’en fout non ?! L’empreinte carbone du machin, comparé à ma voiture, à la chaudière gaz que je viens de remplacer, c’est que dalle ! Que-dalle !

Donc en fait, le mec avec son post, là, il m’a braquée POUR RIEN ??

Grosse culpabilisation, sujet insignifiant, besoin profond, déni du besoin humain : le cocktail explosif pour faire le buzz sur les réseaux sociaux !

Oui mais… le cocktail est le même avec la viande… avec la voiture… A chaque post trop-écolo, des centaines de gens déversent leur colère, parce qu’on a osé suggérer qu’il fallait arrêter quelque chose qui répond à un besoin très profond chez eux -besoin probablement bafoué par ailleurs.

Que dois-tu retirer de cette histoire ?

Que sur les dizaines de sujets qui constituent le chemin vers un mode de vie soutenable à 2tonnes de CO2, il y en aura forcément certains qui toucheront une corde sensible chez toi.

Comment le savoir ? Ce sont ceux qui te mettront dans une profonde colère.

Que faire alors ? Cela dépend de leur impact.

Si ce sont des sujets à faible impact, comme la tondeuse ici, franchement, garde ton énergie pour autre chose.

Si ce sont des sujets à fort impact (viande, voiture, shopping…), respire un bon coup. Il va falloir réussir à identifier ton besoin profond derrière le sujet. Ce besoin est important, il doit être respecté.

Alors, c’est seulement quand tu auras trouvé une autre manière de combler ce besoin, ou que tu auras décidé en conscience que tu n’en a plus besoin, que tu pourras avancer sur ce sujet.

Et toi, as-tu déjà rencontré des cordes sensibles dans ta transition écologique ? Les as-tu surmontées ? Partage ton témoignage en commentaire !

6 réflexions sur “Cordes sensibles et transition écologique”

  1. Franchement, Floraine, je ne sais pas quelle corde sensible me freine aujourd’hui.
    Peut-être celle du logement ? Le nombre de m² à ne pas dépasser pour être écolo…
    D’une part, j’ai besoin de mon espace vital. Et d’autre part, j’ai hérité d’une maison de famille, genre 9 chambres.
    Alors j’invite et j’héberge, pour partager mes m², mais bon : sur le bilan carbone, ça fait pas une grosse différence.
    Mais ce n’est pas là où je voulais en venir.
    En fait, il me semble que la clé du dépassement de toutes ses cordes sensibles, c’est la lenteur et la régularité de sa transition écologique.
    En 2016, pour mes vœux du Nouvel An (genre « que vais-je faire cette année pour progresser dans ma vie ? »), je venais de me prendre la COP21 en pleine figure. Inutile de dire que je n’étais pas bien.
    Je me suis lancée un défi : faire un éphéméride des écogestes pour tous les expérimenter, et explorer mon champ des possibles pour devenir plus écologique.
    Des écogestes insignifiants, du genre de la tondeuse, j’en ai exploré un paquet ! J’en ai fais un blog. Peut-être qu’à l’époque, si je t’avais eu comme lectrice, je t’aurais mise de méchante humeur…
    Et cependant, je me suis aperçue qu’en pensant écologie tous les jours, en faisant écologique tous les jours, sur des trucs importants comme insignifiants, je me suis reformaté le cerveau en douceur, et j’ai appris à réfléchir autrement.
    Du coup, maintenant, pour moi c’est facile d’éviter l’écueil de la corde sensible.
    J’ai pu prendre en compte chacun de mes besoins à mon rythme.
    Et ça me parait aujourd’hui être le + précieux.
    Tout ce qui me bloque pour avancer est de l’ordre d’une priorité qui passe encore avant ma sensibilité écologique : mon amour pour un homme donc le handicap de mobilité m’oblige à garder ma voiture, et dont la passion m’amène à l’accompagner en Grèce.
    Alors : la Grèce, c’est en voiture+bateau. Je ne prends plus l’avion depuis longtemps.
    Et la Grèce, c’est tous les 3 ou 4 ans, non plus chaque année.
    Chacun a fait ses concessions.
    Le plus important, en effet, c’est de prendre en compte les besoins de chacun.
    Et le rythme. Qui va piano va sano.
    En dernier : la bonne volonté. C’est important aussi.
    Alors bravo de laisser la moitié de ton jardin aux insectes ET la moitié au foot avec ton fils !

    1. Bonjour Dominique et merci pour le partage de ton expérience !! Je suis très honorée de t’avoir eu comme lectrice, connaissant ton blog bien évidemment ! Au plaisir d’échanger !

  2. J’aime beaucoup ton article qui permet de mettre en lumière les 4 besoins psychiques de l’individu. Je ne connaissais pas et je reconnais également ce besoin de contrôle qui permet de se rassurer. Pour le jardin, j’ai trouvé le même compromis que toi. Je laisse une partie en jachère pour préserver la biodiversité !

  3. Bonjour ! Alors de mon côté je m’en fou aussi ! Je tond une petite partie pour l’espace de jeux des enfants. (et encore je tourne autour des fleurs 😉 )Le reste je tond plus ! Il suffit de passer régulièrement pour « tracer  » des sentiers vers le potager notamment ! en plus j’ai toujours de l’herbe verte contrairement à mon voisin qui tond un parcours de golf…

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