« Je viens de découvrir un nouveau mot », ai-je dit fièrement à l’une de mes amies. C’est la « so-las-tal-gie ». Je dois encore m’appliquer pour le prononcer correctement, mais c’est déjà mieux que les jours précédents. « Eh oui, me répond-t-elle tranquillement, je connais, je suis moi-même solastalgique ». Première nouvelle ! A la réflexion, ce n’est pas étonnant : cette amie travaille sur le réchauffement climatique et fait ainsi partie de l’une des populations les plus exposées à la solastalgie. Je m’interroge cependant : pourquoi ne m’en avoir jamais parlé avant ?…
A vrai dire, ces trois phrases de conversation touchent à trois caractéristiques fondamentales du mot « solastalgie ». Difficile à prononcer au début, les personnes touchées appartiennent à des catégories de population spécifiques. Se sentant souvent seules et incomprise, elles n’en parlent pas forcément à leur entourage.
Alors, quelle est la signification du mot solastalgie ? Quelle est son origine ? Quelle est la différence avec l’éco-anxiété ? Quelles sont les personnes les plus touchées ? Quelles sont les émotions associées ? C’est ce que je t’invite à découvrir dans cet article.
La solastalgie est un concept créé en 2005 pour décrire la détresse des habitants d’une région d’Australie, confrontés à la modification rapide de leur environnement.
Si le terme « solastalgie » est encore peu connu, c’est qu’il est assez récent. En 2005, le philosophe environnemental Glenn Albrecht étudie les bouleversements en cours dans une région d’Australie, touchée par le développement des mines de charbon à ciel ouvert.
En 2014, il raconte dans un nouvel article, « Solastalgie : la détresse causée par les changements environnementaux », qu’il a dû chercher un terme adéquat pour décrire la détresse spécifique dont les gens de la région étaient affectés.
Le terme le plus proche, la nostalgie (du grec “Nostos” : le retour à la terre d’origine, et “Algia” : la douleur), ne lui semble pas suffisant pour décrire leur état. « Les personnes dont je me préoccupais étaient toujours “chez elles”, pourtant elles ressentaient de la mélancolie. Cette mélancolie était similaire à celle causée par la nostalgie ressentie lorsque la relation habituelle entre l’identité et le “chez soi” se fragmente », explique-t-il dans son article (traduction @Eco-insouciance). « Ces personnes manquaient de réconfort dans la relation à leur “chez eux”. […] La solastalgie a été créée pour décrire cette forme spécifique de mélancolie relative au manque de réconfort et à une intense désolation». On peut donc la résumer comme l’état issu de la perte du réconfort auparavant apporté par l’environnement proche, à cause d’une modification rapide de celui-ci.
Pour Glenn Albrecht, ce concept a « une portée universelle dans tout contexte où l’on expérimente directement la transformation ou la destruction de l’environnement physique (le “chez soi”) par des forces qui sapent le sens de l’identité et du contrôle d’un point de vue personnel et communautaire ».
Un mot créé par la juxtaposition de trois concepts et d’une référence phonétique à la nostalgie, sans construction étymologique
Si le mot solastalgie peut être compliqué à retenir, c’est que sa création ne suit pas les règles habituelles de l’étymologie. D’après l’auteur, le début du mot provient de l’anglais “solace”, signifiant “le réconfort”, du latin solari (soulager, apaiser). Il s’agit du soulagement de la détresse face à des évènements stressants. Le milieu provient du mot “désolation”, issu du latin ”solus” et “desolare”. La signification se relie ici à l’abandon et à la solitude. La fin du mot, ”algie”, vient du grec algos : la douleur, la souffrance ou la maladie. Enfin, ces trois mots sont reliés de sorte à créer une référence phonétique au mot “nostalgie”, concept dont la solastalgie est proche.
Ainsi, explique Glenn Albrecht, « littéralement, la solastalgie est la douleur ou la maladie causée par la perte ou le manque de réconfort et le sens de l’isolement relatifs à l’état actuel du “chez soi” ou du territoire dans lequel habite quelqu’un ».
La solastalgie et l’éco-anxiété, des fausses jumelles
La « solastalgie » et l’ « éco-anxiété » sont deux mots parfois utilisés de manière équivalente. Or, « ces deux termes, contrairement à une idée reçue, n’ont pas la même signification », explique Philippe J. Dubois, auteur du livre « Le Chagrin écologique, Petit Traité de Solastalgie, Seuil 2021 ».
« Alors que l’éco-anxiété naît des représentations d’un effondrement qui reste à venir, de projections dans le futur, la solastalgie traduit le manque douloureux face à un environnement qui a été modifié de façon souvent irréversible ».
Pour Alice Desbiolles, auteure de « L’éco-anxiété, Vivre sereinement dans un monde abîmé, Fayard 2020 », la solastalgie n’est pas uniquement tournée vers le passé. « Elle incarne également une nostalgie du futur, une angoisse existentielle face à la destruction de notre environnement ». L’éco-anxiété, quant à elle, « reflète l’inquiétude anticipatoire que peuvent provoquer les différents scenarii établis par des scientifiques sur la viabilité de la planète dans les décennies à venir. »
Les scientifiques, les personnes hypersensibles ou qui ont le sentiment d’être connectées à la planète Terre, sont davantage concernés par la solastalgie.
A l’instar de mon amie solastalgique, Philippe J. Dubois confirme que « les premiers à avoir été solastalgiques et éco-anxieux ont été ceux dont la profession ou les centres d’intérêt touchaient de près ou de loin la nature et l’environnement : scientifiques, forestiers, agriculteurs, apiculteurs, naturalistes, pêcheurs, etc. »
Indépendamment du métier, ce sont aussi certaines caractéristiques de caractère qui rendent un individu plus ou moins sensible à la solastalgie. Pour Alice Desbiolles, « la solastalgie affecte tout individu ayant un degré d’empathie écologique suffisamment élevé pour appréhender la Terre dans son ensemble, et la considérer comme son foyer. [… Ainsi, une personne solastalgique, qui se sent une infirme partie d’un tout immense, souffre des outrages faits à ce que nous avons de plus cher ».
Philippe J. Dubois y ajoute « les hypersensibles, extrêmement attentifs à ce qui les entoure et qui sont souvent les premiers à constater la modification du bruit de fond que notre environnement produit avec la disparition ou la diminution du nombre d’espèces ».
Enfin, je rajouterais les « topophiles », concept qui décrit les personnes ayant un attachement fort à des lieux particuliers et singuliers. Comme l’écrit Glenn Albrecht, « si nous admettons donc que l’amour du paysage et des lieux puisse être une émotion puissante, surtout pour les peuples indigènes et ceux qui vivent près de la terre, vivre l’expérience de leur dévastation durable provoque une émotion ou un état psychique tout aussi puissant. »
Les émotions de la solastalgie
La solastalgie est une sensation de perte. D’après son auteur, c’est une émotion qui ressemble de près à la nostalgie. C’est donc, pour revenir aux six émotions primaires (joie, peur, tristesse, colère, surprise et dégoût), une variante de la tristesse.
La réaction automatique à une émotion de tristesse est le repli sur soi. Ce n’est donc pas une énergie d’action. Si tu es atteint de solastalgie, ton plus grand défi va consister à reconnaître cette émotion, à l’accepter, puis à arriver à passer à l’action malgré tout. Comme l’indique Philippe J. Dubois, « la solastalgie est une souffrance. Elle est toutefois une étape essentielle pour commencer à relever la tête et à agir concrètement ». Si tu es solastalgique, bonne nouvelle ! S’en rendre compte est donc un élément essentiel pour commencer à agir. Pour Alice Desbiolles, « pour l’individu solastalgique, tout l’enjeu est de passer du stade d’éco-anxieux passif à celui d’éco-anxieux engagé. D’une nostalgie sclérosante, la solastalgie peut se muer en un agir environnemental. »
La solastalgie, comme l’éco-anxiété, s’accompagne d’un cortège d’émotions : tristesse, colère, impuissance, perte de contrôle, désespoir, regrets, frustration, paralysie, sentiment d’injustice… Lorsque celles-ci deviennent difficiles à gérer, le solastalgique peut se sentir perdu car peu de thérapeutes connaissent aujourd’hui ce concept. C’est pourquoi, si tu en ressens le besoin, tu trouveras sur ce site une liste des psychothérapeutes intégrant la solastalgie dans leur approche, à l’instar de Charline Schmerber, auteure d’un blog sur le sujet.
Et toi, es-tu solastalgique ? Comment le vis-tu au quotidien ? Indique-le en commentaire et à très bientôt sur le blog !
Si tu connais un·e psychothérapeute apte à traiter la solastalgie ou l’éco-anxiété, écris-moi afin de compléter la liste des psychothérapeutes adaptés disponible sur ce blog. Merci pour les autres lectrices et lecteurs !