Quel est le bilan carbone d’une voiture électrique ? Comment son empreinte environnementale se compare-t-elle à celle de la voiture thermique ? Quelle taille de batterie choisir pour sa voiture électrique ? La voiture électrique est-elle la solution pour une mobilité décarbonée ? Faut-il changer tout de suite pour une voiture électrique ? Et les voitures hybrides dans tout ça ? Bertrand Olivier, Ducreux, expert en mobilité à l’ADEME, répond à toutes les questions de Floraine Cordier, Coach CO2.
Retrouvez l’interview complète en vidéo ou ses principaux extraits en version texte ci-dessous.
Bilan carbone de la voiture électrique & fabrication
Bertrand-Olivier Ducreux (ADEME) : je travaille au service transport de l’Agence de l’environnement et la maîtrise de l’énergie (ADEME) et j’ai globalement des missions qui tournent autour de l’évaluation de toutes les technologies de propulsion, et notamment de leur impact environnementaux, de la production à leur utilisation.
Floraine Cordier, Coach CO2 : on voit parfois « véhicule zéro émission » sur les véhicules électriques. Or il me semble que les véhicules électriques ont une empreinte carbone qui n’est pas nulle ; est-ce que tu peux nous détailler le bilan carbone de la voiture électrique ?
B.O.D. : on peut le qualifier de 0 émissions d’échappement, puisqu’il a pas de pot d’échappement, mais bien évidemment il a une empreinte carbone tout au long de sa vie, dont la part prépondérante est la part de la fabrication, de la production du véhicule.
Un véhicule électrique aujourd’hui demande de l’énergie et donc a un impact carbone, pour sa fabrication : la base roulante est faite comme une voiture classique, avec de l’acier, de l’aluminium, du plastique, mais aussi de manière très importante par la fabrication de sa batterie.
L’impact carbone de fabrication d’une voiture électrique neuve aujourd’hui c’est pour moitié pratiquement la base roulante, et l’autre moitié c’est la batterie.
Empreinte écologique de la voiture électrique VS essence
Si on fait la comparaison du bilan carbone de la voiture électrique et thermique, c’est ce qui fait que à zéro kilomètre, une voiture électrique a déjà eu une empreinte carbone supérieure à celle de la fabrication du véhicule équivalent à moteur thermique.
En revanche, là où la tendance s’inverse complètement, c’est sur la phase d’usage, puisque le véhicule électrique utilisant uniquement de l’électricité, il n’a pas d’émission de CO2, pas de pot d’échappement, et c’est là où commercialement il peut être vendu comme véhicule zéro émission.
A noter : il n’a pas de pot d’échappement mais il a des émissions quand même quand il roule (particules).
Il y aussi des émissions indirectes qui sont liées à cette consommation d’électricité, puisque pour produire l’électricité il y a des émissions de carbone qui dépendent de ce qu’on appelle le mix électrique, c’est-à-dire les moyens de production d’électricité qui sont utilisés dans la zone géographique où on recharge le véhicule.
Le gros avantage du véhicule électrique, c’est que les émissions de gaz à effet de serre qui résultent de cette production d’électricité sont très sensiblement inférieurs à celles qui sont liées à la combustion du carburant quand on utilise une voiture thermique qui brûle de l’essence ou du diesel.
C’est la raison pour laquelle on aboutit à la conclusion, dans l’étude, que le bilan carbone sur le cycle de vie complet du véhicule électrique est deux à trois fois inférieur à celui du véhicule thermique.
F.C : Dans la note, tu introduis quand même une subtilité, c’est qu’il y a des conditions à avoir sur le véhicule pour qu’on soit sûr que l’impact environnemental de la voiture électrique soit bien inférieur à celui de la voiture thermique. Pour continuer dans la comparaison de l’empreinte écologique de la voiture électrique VS essence, est-ce que tu peux nous détailler ces conditions ?
B.O.D : comme je l’évoquais tout à l’heure, un des facteurs prépondérant de l’impact carbone du véhicule électrique, c’est le stade de la fabrication de sa batterie. Donc, plus la batterie est grosse, c’est-à-dire qu’elle a une capacité importante, et plus l’impact carbone de sa production va être élevé, et plus le « entre guillemets « remboursement » de cette dette carbone de fabrication va être long à obtenir en phase de conduite par rapport aux véhicules thermiques « concurrents ».
En plus, comme le plus souvent, les grosses batteries sont montées sur des gros véhicules, ça va être un véhicule électrique qui va consommer un peu plus que si on a un véhicule plus petit, plus léger, plus aérodynamique, et donc ça va encore augmenter le kilométrage nécessaire avant de rembourser la dette carbone de production de la batterie.
C’est pour cela qu’on a proposé un plafond de capacité de la batterie de 60 kWh. 60 kWh, sur une bonne voiture, ça donne 450 km d’autonomie environ, donc ça couvre énormément d’usages, y compris un peu exceptionnels.
Cette limite de 60kWh c’est aussi une manière de dire: le véhicule électrique, ce n’est pas parce qu’il n’a pas de pot d’échappement, qu’il ne faut pas aussi faire attention. Il faut en choisir un qui soit efficace, donc pas trop gros, pas trop lourd, au bénéfice de sa consommation et au bénéfice du coût, et de la rapidité de remboursement de l’impact de fabrication.
On constate que comme toutes les nouvelles technologies dans l’automobile elles arrivent plutôt par le haut de gamme, sur des voitures plutôt grosses, plutôt lourdes, généralement beaucoup plus coûteuses que la moyenne, mais il ne faut pas amalgamer véhiculer électrique et véhicule de luxe.
Maintenant, on trouve dans le palmarès des voitures électriques les plus vendues en France, des voitures beaucoup plus petites comme la 208, la Zoé, la Twingo, la Spring, qui sont des petites voitures avec des batteries qui sont sensiblement inférieures à ce seuil de 60 kWh, et qui permettent de satisfaire l’immense majorité des usages quotidiens.
Réduire le bilan carbone de sa voiture électrique : bien dimensionner la taille de la batterie pour ses usages quotidiens
F.C.O : ce que tu dis dans la note, c’est qu’on a tendance à dimensionner la batterie sur les vacances, alors qu’il faut déjà dimensionner sur les déplacements quotidiens domicile-travail.
B.O.D : absolument, en fait avec le thermique on a tous collectivement arrêter d’interroger notre besoin automobile puisque toute façon on avait cette espèce de couteau suisse, la voiture thermique, qui permettait tout faire.
Mais comme tous les couteaux suisses, elles permettent de tout faire mais elle ne permettent de rien faire parfaitement bien ! Et du coup on la choisissait pour l’utilisation la plus contraignante qu’on ait à faire d’une voiture, c’est peut-être partir en vacances une fois par an avec 5 personnes, plein de bagages et à l’autre bout de la France.
L’idée, c’est de réinterroger cette façon de faire, de réinterroger notre relation à l’automobile, pour bien prendre conscience que l’on fait beaucoup de choses très différentes avec notre voiture.
Si on admet de choisir la voiture électrique adaptée à notre usage le plus fréquent et non pas le plus contraignant, on peut trouver des solutions qui sont beaucoup plus pertinentes à la fois au niveau environnemental et même au niveau économique.
C’est-à-dire que aujourd’hui en France, acheter une petite voiture électrique pour aller travailler tous les jours -quand on a besoin de sa voiture pour aller travailler tous les jours- c’est d’ores et déjà en termes de coût complet, c’est à dire l’achat qui est plus coûteux sur une voiture électrique mais l’usage qui est très nettement moins coûteux.
Si tu achètes une petite voiture électrique, ça permet déjà d’économiser de l’argent par rapport à acheter une voiture thermique quand on va travailler tous les jours avec. Donc il y a des choses qui sont déjà prêtes maintenant.
F.CO : pour cette question des vacances, tu évoques quand même dans le rapport qu’il faudra développer des infrastructures de location de voiture, d’autopartage, de train, qui soient quand même un peu différentes d’aujourd’hui. On sent qu’on n’est pas encore mûrs sur le sujet…
B.O.D : tout à fait. Ce qu’on préconise, et ça fait vraiment intrinsèquement partie de la stratégie transport et mobilité de l’ADEME, c’est d’nterroger notre rapport à la voiture et globalement à la mobilité. La voiture n’est qu’une des réponses possibles à nos besoins de mobilité.
En parallèle de ça il y a d’autres solutions beaucoup moins impactantes sur l’environnement, et même éventuellement économiquement plus intéressantes pour le voyageur, pour les usages exceptionnels ou de grands rayon d’action.
Cette notion de système de mobilité qui permettrait de faire le tronçon à grande distance avec un mode efficace comme notamment le train, et de trouver sur place à l’arrivée des solutions fiables et fluides de foisonnement local pour ces déplacements à l’arrivée, mais c’est bien un ensemble de systèmes qu’il faudrait faire de mieux en mieux fonctionner ensemble, de façon à ce que pour le voyageur ça reste une expérience simple et fluide de réserver un déplacement pour traverser la France et être capable sur place localement de se déplacer avec un faible impact.
Empreinte carbone de la voiture électrique : ne pas répliquer le modèle de la voiture thermique
F.C. : pour aller plus loin, les conclusions du rapport c’est que « répliquer le modèle d’utilisation du véhicule thermique sur le véhicule électrique ne suffira pas ». Si on en met un par personne, finalement, on ne peut pas atteindre les objectifs climat, c’est ça ?
B.O.D : Tout à fait. Le fondement de cette affirmation là, c’est bien que le véhicule électrique, bien qu’il n’ait pas de pot d’échappement, n’est absolument pas neutre en carbone, encore une fois à cause de sa production.
La nécessité supposée de remplacer chaque véhicule thermique par un véhicule électrique engendrerait un besoin et un appel de ressources minérales notamment, pour la production des batteries, qui est d’ores et déjà aujourd’hui un goulet d’étranglement dans la production des voitures électriques.
Donc le remplacement un pour un des voitures thermiques par des voitures électriques n’est pas une solution réaliste ni même souhaitable.
En revanche, pour satisfaire ces besoins de mobilité qui sont complètement légitimes, il faut interroger d’autres solutions et donc travailler sur ces autres solutions, parce qu’aujourd’hui, avoir recours à de l’intermodalité entre le train et une location de voiture, éventuellement un VTC ou un bus à l’arrivée, ce n’est pas encore une expérience très simple.
Empreinte carbone de la voiture hybride : une solution de transition pour les grands besoins de déplacements
Il y a aujourd’hui des solutions qui permettent de trouver un palliatif à ces besoins de grands rayon d’action : on peut penser à l’hybride rechargeable, qui est une technologie de transition pertinente, puisqu’elle permet de faire le lien entre du thermique, avec ses avantages de rayons d’action, et puis de l’électrique avec son avantage d’absence d’émissions d’échappement quand on est en mode électrique.
Toutefois l’hybride rechargeable n’est pertinente environnementalement parlant que si on l’utilise tous les jours en mode électrique et exceptionnellement pour des besoins ponctuels en mode thermique.
La voiture hybride rechargeable reste une voiture qui va être d’abord très coûteuse à l’achat, puisqu’elle a deux moteurs complets, deux chaînes de traction complètes : une électrique et une thermique.
On constate qu’en plus les voitures hybrides rechargeables du marché Français sont aujourd’hui à plus de 75% des SUV, donc des voitures dont la définition c’est d’être plus grosses, plus hautes, que la berline dont ils sont dérivés, donc sont pas des véhicules qui sont énergétiquement efficaces.
C’est la raison pour laquelle l’hybride rechargeable est à considérer comme une technologie de transition mais avec des vertus environnementales qui sont conditionnées par la recharge quotidienne et l’usage au quotidien en électrique.
Un hybride rechargeable qui marche en mode hybride, c’est-à-dire avec son moteur thermique activé, a un bilan carbone défavorable puisqu’il surconsomme par rapport à ce que pourrait être une voiture thermique standard : il est beaucoup plus lourd à transporter à cause de la batterie.
F.C. : j’ai entendu que dans la réalité des faits, les gens ne rechargent pas tous les jours : les batteries sont plus petites, il faut recharger tout le temps, et qu’en fait les gens ne le font pas.
B.O.D : il y a aussi le fait qu’une grosse partie des hybrides rechargeable sont achetées par les entreprises, qui bénéficient d’avantages fiscaux qui intéressent les entreprises.
L’utilisateur d’un hybride rechargeable, s’il est un tout petit peu soucieux de l’environnement, devrait faire l’effort de rebrancher sa voiture tous les soirs quand il arrive au garage.
Faut-il changer sa voiture thermique pour une voiture électrique tout de suite ?
F.C. : est est-ce que quand on a un véhicule thermique il faut attendre la fin de sa vie ou est-ce que on peut changer pour un véhicule électrique tout de suite ? Qu’est-ce qui est le mieux environnementalement ? On se pose toujours la question pour les ampoules : est-ce que j’attends que mon ampoule claque ou est-ce que je met une base consommation tout de suite ?
B.O.D : la réponse va commencer par une question, c’est : qu’est-ce que je fais de ma voiture notamment si je roule en ville, alors que ma voiture c’est un vieux diesel sans filtre à particules ? On a un impact qui n’est pas très cool sur l’environnement parce qu’on participe fortement avec un vieux diesel à la dégradation de la qualité de l’air en ville.
En revanche, pour quelqu’un qui habiterait en milieu rural, qui aurait tous les jours 40 ou 50 km à faire avec sa voiture, l’enjeu environnemental il est un petit peu moindre puisque il y a moins de soucis de qualité de l’air en milieu rural qu’en ville, donc ces questions là elles sont toujours un peu compliquées.
Il y a quand même pour sortir ces vieilles voitures très polluantes – alors polluantes au sens émissions toxiques, pas pas au sens gaz à effet de serre- pour sortir ces vieilles voitures très polluantes du parc il y a le dispositif de la prime à la conversion, qui est aujourd’hui bien mis en place et qui peut aider à à prendre la décision, puisque économiquement c’est une participation non négligeable de des pouvoirs publics à l’acquisition d’un véhicule plus récent voire d’un véhicule électrique et donc avec une amélioration sensible du bilan environnemental.
F.C. : Et pour un véhicule plus récent ?
B.O.D. : alors très sincèrement on est en train de regarder cette question là, on n’a pas encore d’études instanciées très précisément, de façon très robuste sur le sujet, mais a priori oui c’est pertinent puisque la voiture elle va continuer à rouler (à la différence des ampoules que l’on jette).
A partir du moment où elle est vendue, elle reste sur le marché, actuellement le marché automobile en France. Le marché du neuf est en train de monter en gamme, c’est-à-dire que les voitures neuves coûtent de plus en plus cher, ce qui fait que de plus en plus de gens qui ont besoin d’une voiture se tournent vers le marché de l’occasion.
Encore une fois ça dépend où tu roules, ça dépend si tu roules beaucoup, si tu roules peu, faire durer ta voiture thermique un peu plus longtemps, idéalement si c’est une voiture récente et qu’elle est du coup correctement dépolluée, c’est aussi une façon pertinente d’encore une fois d’interroger ce rapport à l’automobile et de se dire : la voiture n’est pas tout à fait un produit de grande consommation comme les autres et donc je vais aussi essayer de d’en prendre soin, de l’entretenir correctement, de pratiquer l’éco-conduite pour maîtriser ma consommatio
C’est bien de s’interroger sur son rapport à la voiture, les contraintes qui s’appliquent dessus. Ça peut même en amont aller jusqu’au choix de son lieu de résidence : est-ce que je préfère m’éloigner du centre-ville pour avoir une grande maison avec un jardin, une piscine, mais au prix d’une dépendance à ma mobilité qui va être beaucoup plus forte, que si je choisis de m’installer en centre-ville ?
Donc on voit que tous ces enjeux là ils sont imbriqués les uns dans les autres : si on veut optimiser le système et que pour réduire l’impact environnemental global donc la fameuse cible à 2 tonnes par an, c’est tous ces leviers qu’il faut essayer de déplacer ensemble, puisqu’ils ont des interdépendances fortes, et que du coup si on arrive à se rapprocher par exemple de son lieu de travail et qu’on peut y aller en vélo, la question de savoir si on veut une voiture électrique ou une voiture thermique se posera avec beaucoup moins de d’acuité, et donc c’est des interrogations saines positives et constructive sur sur ta chaîne !
F.C. : super, on va continuer à se poser plein de questions alors ! Bonne continuation pour tes missions et merci beaucoup !