D’où vient l’empreinte carbone de notre alimentation ? Faut-il manger local ? Faut-il arrêter le boeuf ? Quel est le régime alimentaire durable qui permet de tenir les objectifs climat ? La technologie suffira-t-elle pour réduire les émissions ?
Christian Couturier, Directeur de Solagro et grand spécialiste du sujet, répond à toutes ces questions dans une interview passionnante, en vidéo ou en retranscription texte (ci-dessous – extraits).
- Empreinte carbone et alimentation : des gaz à effet de serre provenant de phénomènes biologiques naturels
- L'agriculture biologique améliore-t-elle l'empreinte carbone de l'alimentation ?
- Faut-il manger local ? L'empreinte carbone de l'alimentation liée au transport :
- L'empreinte carbone de l'alimentation peut-elle diminuer uniquement grâce aux évolutions technologiques, ou faut-il changer nos comportements alimentaires ?
- Quel est le régime alimentaire si on veut que l'empreinte carbone de l'alimentation soit compatible avec les accords sur le climat ?
- Les leviers à notre disposition pour réduire l'empreinte carbone de l'alimentation
- L'impact des produits importés dans l'empreinte carbone de l'alimentation
- Faut-il arrêter totalement la viande de bœuf pour éviter les émissions de méthane ?
- L'agriculture peut-elle être neutre en carbone ?
- Des études pour aller plus loin
Empreinte carbone et alimentation : des gaz à effet de serre provenant de phénomènes biologiques naturels
Floraine Cordier, coach CO2 : aujourd’hui je reçois Christian Couturier, directeur de Solagro et co-auteur d’un rapport mené conjointement par le SIRED, Solagro et d’autres laboratoires, intitulé « prospective du système alimentaire et de son empreinte énergétique et carbone » en date d’octobre 2022.
C’est très intéressant ce rapport parce qu’à la fois il dresse un panorama des émissions carbone du système alimentaire tel qu’il est aujourd’hui, mais a aussi une démarche prospective et donc permet de se projeter dans le système alimentaire de demain.
On entend beaucoup qu’il faut réduire l’empreinte carbone de notre alimentation, et pour cela on a déjà besoin de comprendre d’où viennent les gaz à effet de serre émis par notre alimentation : est-ce que tu peux nous l’expliquer ?
Christian Couturier, Solagro : dans l’empreinte carbone de l’alimentation, deux tiers environ des gaz sont émis par l’agriculture, et puis un tiers est émis par les autres secteurs, notamment le transport, la transformation, donc tout ce qui est industrie agroalimentaire et les activités à domicile (cuisson, conservation, y compris les déplacements des ménages pour aller faire la course au magasin).
voilà donc ça c’est l’empreinte carbone de notre alimentation et dans tout ça donc, le gros morceau effectivement c’est l’agriculture, avec deux tiers.
Dans ce gros morceau on a environ 40% c’est du méthane, 40 %, c’est du protoxyde d’azote et 20% c’est du gaz carbonique (CO2).
Donc une des grandes spécificités de l’agriculture par rapport aux autres bien de consommation c’est que les émissions de gaz à effet de serre ce n’est pas tellement du CO2 d’origine fossile, ce sont des gaz qui proviennent de phénomènes biologiques naturels.
Le méthane
Le premier poste dans l’empreinte carbone de l’alimentation, c’est le méthane. Il est lié essentiellement à des fermentations entériques : c’est le rot des vaches, pour faire court !
C’est-à-dire ,c’est du gaz méthane qui est émis par la digestion des aliments et donc les ruminants ont un système digestif particulier qui leur permet de se nourrir d’herbe, donc de cellulose- parce qu’on n’est pas capable de faire ça, nous, on n’est pas capable de digérer de l’herbe parce qu’on n’a pas le système digestif qui va avec.
Les ruminants, eux, ont cette particularité de pouvoir digérer la cellulose, mais ça, ça se fait au prix d’une certaine déperdition d’énergie, dont une partie de ces déperditions est émise sous forme de de méthane.
Le méthane est un gaz qui est 25 fois plus réchauffant que le gaz carbonique.
On a aussi un peu de méthane qui est émis par les déjections d’élevage, donc l’étal de fumier ou de lisier qui vont séjourner pendant des semaines ou des mois en fermentation anaérobie, c’est-à-dire c’est une fermentation en absence d’oxygène.
Sans oxygène, les matières organiques produisent du méthane. Ce sont les mêmes organismes qui sont à l’œuvre dans le système digestif des ruminants et dans le fumier, mais aussi dans tous les systèmes digestifs.
Alors évidemment avec les humains ou les porcs et les volailles, on émet moins de méthane que les vaches, mais il y a quand même un peu d’émissions de méthane.
Voilà donc ça c’est le premier poste, c’est ce qu’on appelle les fermentations entériques.
Il y aussi les émissions de méthane liées au stockage des déjections d’élevage.
Le protoxyde d’azote
Ensuite on a un deuxième grand poste dans l’empreinte carbone de l’alimentation, qui est le protoxyde d’azote.
Le protoxyde d’azote est un gaz médical qui est utilisé dans différents usages aujourd’hui – c’est aussi ce qu’on appelle le gaz hilarant. Ce qui fait beaucoup moins rire, c’est qu’il a un pouvoir de réchauffement qui est 265 fois de celui du gaz carbonique.
Il vient du cycle de l’azote : l’azote est un élément constitutif des êtres vivants, c’est un élément qui participe à la fabrication des protéines dans les acides aminés, et pour que les plantes grandissent il leur faut de l’azote.
L’azote était apporté de de trois façons différentes.
Pour faire très court : 1/premièrement, c’est les engrais rajoutés.
2/deuxièmement, c’est les légumineuses : les légumineuses sont des plantes qui ont la faculté de fixer l’azote atmosphérique directement grâce à des organismes qui sont fixés sur la racine, on parle de fixation symbiotique.
Et puis la troisième voie c’est de retourner une partie de des flux d’azote qu’on va retrouver dans les végétaux qui serviront de nourriture aux animaux et qu’on va retrouver ensuite sous forme de fumier ,de lisier etc
Voilà donc, deux sources primaires d’azote : les engrais et la fixation symbiotique.
Aujourd’hui, la proportion, c’est dix fois plus d’engrais que d’azote fixés par voie symbiotique, et puis des flux de recirculation sous forme principalement de fumier et de lisier, mais on a aussi tout l’azote contenu dans les résidus de culture, ça peut être aussi le compost et le digestat issu des déchets ménagers, etc.
Voilà donc on va apporter de l’azote aux plantes pour qu’elles puissent pousser, et il y a une partie qui est perdue, qui n’est pas fixée par les plantes. Il peut y avoir des apports en excès par exemple. La partie de l’azote qui est perdue va être perdue sous forme de nitrate qui va ruisseler et potentiellement contaminer les eaux de surfaces. Il y a une autre partie qui va être perdue sous forme d’ammoniac, il va être volatilisé dans l’air.
A chaque fois qu’on a des pertes d’azote il y a aussi des réactions biologiques qui vont transformer en partie ces nitrates ou cet ammoniac en protoxyde d’azote.
Donc les flux sont très faibles, on estime qu’il y a peut-être 1% de l’azote qu’on va apporter qui va être transformé en protoxyde d’azote, mais comme le potentiel de réchauffement est très élevé, au bout du compte, on a un gaz, le protoxyde d’azote, qui représente pratiquement la même empreinte carbone dans l’alimentation que le méthane, quand l’exprime en pouvoir de réchauffement global.
Le gaz carbonique ou dioxyde de carbone, CO2
Pour terminer, le troisième gaz qui explique l’empreinte carbone de l’alimentation est le gaz carbonique (CO2).
Le gaz carbonique est émis principalement par la combustion du gasoil dans les engins agricoles, donc c’est les carburants pétroliers, donc ça c’est bien de l’énergie fossile.
Il y a une partie qui est apportée aussi de façon indirecte, c’est lors de la fabrication des intrants. Ce qu’on appelle les intrants, c’est les engrais, c’est les produits phytosanitaires, tout ce qui participe à la production agricole.
Donc là c’est pas émis par l’agriculture mais c’est émis par les industries qui fournissent les intrants à l’agriculture, donc ça rentre bien aussi dans le périmètre de l’empreinte carbone de l’alimentation.
Le plus gros poste c’est le gaz carbonique qui est dégagé par la fabrication des engrais azotés pour fabriquer l’ammoniac. L’ammoniac, c’est de l’azote et de l’hydrogène. Pour le fabriquer, on utilise du gaz naturel, donc du méthane (CH4) plus de l’azote atmosphérique, et quand on recombine du CH4 et de l’azote, pour faire du du NH3 (ammoniac), on a du carbone, et donc c’est émis sous forme de de gaz carbonique (CO2).
Il ne faut pas non plus oublier les serres, le séchage des produits agricoles, etc
L’agriculture biologique améliore-t-elle l’empreinte carbone de l’alimentation ?
F.C. : j’avais cru comprendre que l’agriculture biologique n’émettait pas forcément moins de gaz à effet de serre que l’agriculture conventionnelle, pourtant j’ai l’impression que les engrais les engrais de synthèse émettent quand même pas mal de protoxyde d’azote et de CO2 dans la fabrication. L’agriculture biologique permet-elle d’améliorer l’empreinte carbone de l’alimentation ?
C.C. : l’épandage du fumier aussi émet du protoxyde d’azote, donc tout ça va dépendre du taux d’utilisation de l’azote par les plantes. C’est vrai que les engrais azotés émettent beaucoup au départ, mais s’ils sont bien dosés, ensuite on peut apporter plus facilement la bonne dose au bon moment, quand les plantes en ont besoin, ils sont donc moins sujet à volatilisation.
Quand on épend du fumier, ça dépend des techniques d’épandage du fumier, mais il y a toute une partie de l’azote qui se volatilise quand on épend le fumier, donc on peut avoir des bilans qui sont relativement contrastés.
En fait quand on regarde les bilans globaux, il y a pas tant d’écart que ça entre l’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle, mais l’agriculture biologique n’émet pas plus de de gaz à effet de serre que l’agriculture conventionnelle. C’est cependant un peu plus compliqué que ça [NDLR : il y a beaucoup d’autres impacts environnementaux à regarder et pas seulement les gaz à effet de serre].
Faut-il manger local ? L’empreinte carbone de l’alimentation liée au transport :
F.C : l’empreinte carbone de l’alimentation inclut une partie liée au transport. Sur l’aspect transport c’est vrai que j’ai aussi beaucoup entendu que ce n »étais pas forcément très important par rapport à tout l’aspect agriculture, et pourtant le rapport dit quand même que « chercher à rapprocher les lieux de production des lieux de consommation est un enjeu majeur ». Est-ce que tu peux nous expliquer ça ?
Alors c’est vrai que dans l’empreinte carbone de l’alimentation, le transport pèse moins que l’agriculture, mais c’est quand même un poste qui n’est pas du tout négligeable, et il pèse aussi en énergie.
Quand on est dans une approche uniquement en carbone, ça peut masquer le fait que, même si c’est vrai que dans l’empreinte carbone de l’alimentation, le poste méthane et protoxyde d’azote compte plus que le poste CO2, quand on fait la part en énergie consommée, l’agriculture ne représente pas les deux tiers comme dans l’approche carbone.
Ce qui représente l’essentiel des dépenses d’énergie, c’est beaucoup plus équilibré : il y a l’agriculture, il y a la transformation et les transports, il y a l’usage final, et donc là on a quatre cas inégaux, mais les transports représentent quand même une part qui est tout à fait tout à fait importante.
Dans une approche prospective, on peut être tenté de considérer que demain, de toute façon toute énergie sera décarbonée, donc que tous les postes énergies pèseront pour zéro, mais cette énergie décarbonée il faut bien la produire quelque part : c’est pour ça que l’empreinte en énergie c’est important, parce que ça permet de dire : attention, on décarbone, mais parce qu’on a suffisamment d’énergie pour couvrir les besoins avec de l’énergie décarbonée !
L’empreinte carbone de l’alimentation peut-elle diminuer uniquement grâce aux évolutions technologiques, ou faut-il changer nos comportements alimentaires ?
F.C. : sur les cinq scénarios prospectifs qui sont étudiés, il y en a deux qui permettent de réduire significativement les gaz à effet de serre, ils s’appellent Génération frugale et Coopération territoriale. Est-ce que tu peux nous expliquer à quoi correspondent ces scénarios ?
C.C. : ce sont des scénarios qui s’inscrivent dans dans les scénarios de l’ADEME, l’exercice « trajectoire 2050 ». Ces deux scénarios sont les scénarios S1 et S2, qui reposent sur le comportement des consommateurs à travers des mesures de sobriété, alors que les scénarios S3 et S4 sont des scénarios où on demande moins aux consommateurs et plus à des solutions technologiques.
F.F. : est-ce qu’on a besoin de demander un effort comportemental aux citoyen pour atteindre les bons objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’alimentation ?
CC : alors nous c’est la conclusion qu’on en tire. Cans le scénario S4, on demande peu d’efforts aux citoyens mais la contrepartie c’est qu’n fait des paris – ce ne sont pas des technologies qu’on a aujourd’hui, ça repose sur l’espoir qu’on va trouver des solutions pour le futur, et donc c’est un scénario qu’on juge peu crédible, et qui en plus ne tient pas ses objectifs en termes de réduction globale des émissions de gaz à effet de serre.
S1 va très loin quand même sur la sobriété et S4 vers très loin sur les paris technologiques, c’est pour dire qu’on n’ira pas au delà de ça en termes de sobriété, on n’ira pas au-delà des technologies non plus, et à l’intérieur de ça, ça ouvre le débat et la discussion.
Quel est le régime alimentaire si on veut que l’empreinte carbone de l’alimentation soit compatible avec les accords sur le climat ?
C.C : le scénario S1 est un scénario qui repose sur un régime alimentaire avec moins 70% de viande, et S2 c’est moins 50% de viande, S3 c’est moins 30%, et S4 c’est moins 10%, c’est à dire c’est à peine la tendance.
S2 c’est un scénario qui repose sur alors beaucoup de sobriété dans l’alimentation, des systèmes agricoles à très bas intrants, donc très peu d’engrais, très peu de produits phytosanitaires, et donc c’est bien ce changement très important de régime alimentaire qui permet, malgré l’extensification de la production agricole, de pouvoir convertir 3 millions d’hectares de terres agricoles en espace naturel, donc principalement des forêts et beaucoup d’espaces naturels dans les zones de grandes cultures actuelles, pour restaurer la biodiversité.
Le scénario le plus ambitieux c’est 70% de viande en moins, donc ce n’est pas non plus une alimentation totalement végétarienne.
Flexitarien c’est un mot qui est devenu un peu trop valise, parce que flexitarien on peut être flexitarien si on se passe de viande au dessert, quoi ! Aujourd’hui sur tous les stands de au Salon de l’Agriculture à Paris on parle de flexitarisme, en disant la viande c’est bien, il ne faut pas en manger tout le temps… Ok donc c’est pas un terme aujourd’hui qu’on recommande d’utiliser, même si on continue à l’utiliser parce qu’il est rentré dans les mœurs.
Nous on préfère le terme de « demitarien », c’est un terme qui a été inventé il y a une petite quinzaine d’années et qui dit « moitié moins de viande que le régime ordinaire ».
ça dépend du niveau de consommation de viande, ce n’est pas de la viande à tous les repas, ça peut être quelque fois par semaine, tout dépend du niveau dont on part. L’idée c’est que tout le monde divise par deux sa consommation de viande.
Aujourd’hui on est à autour de 150-170 g par jour de viande. L’idée n’est pas que tout le monde devienne végétarien, et puis on n’aura jamais des régimes alimentaires qui sont uniformes il y a beaucoup de de variations, et dans les scénarios qu’on a fait, on a imaginé comment évoluent les régimes d’aujourd’hui, quelle part de végétariens ou végétaliens, et quel est l’impact globalement de ces régimes.
Outre l’aspect viande, sur le reste de l’alimentation, il ne faut jamais oublier aussi que le lait c’est un produit animal et qui a un impact aussi environnemental, qui est moins fort que celui de la viande globalement, mais qui est quand même pas du tout négligeable.
Donc ce qu’on préconise aussi c’est de réduire les produits laitiers. Alors évidemment, ils ne vont pas disparaître, on garde aussi tout ce qui est production de qualité etc, mais il faut aussi faire un effort à notre avis sur les produits laitiers.
Les leviers à notre disposition pour réduire l’empreinte carbone de l’alimentation
Globalement sur les leviers qu’on a pour pour réduire l’empreinte carbone de notre alimentation, la rendre plus plus soutenable, il y a le changement de régime, il y a la surconsommation de protéines, il y a les pertes de gaspillage.
Levier n°1 : Le gaspillage alimentaire
Le gaspillage alimentaire représente quand même une dizaine de millions de tonnes d’aliments aujourd’hui en France qui sont jetés. Ça représente 140 kg par personne et par an, globalement.
On a des consignes des objectifs de diviser par deux les pertes et gaspillage, c’est des directives européennes dans la loi française.
Alors on peut les réduire par du compostage à domicile ou de la collecte de biodéchets pour les envoyer en traitement etc, mais pour moi ça ce n’est pas une vraie réduction, c’est juste qu’on recycle les déchets, mais à la base il a quand même fallu les produire ! Donc il faut éviter de produire des déchets qu’on va jeter .
Réduire les pertes de gaspillage, c’est éviter que les légumes pourrisent dans le frigo, qu’ils soient jetés par les commerçants parce qu’ils sont jugés non commercialisables etc
Des pertes il y en a chez les particuliers, il y en a dans la restauration professionnelle, au niveau de la distribution, etc, donc il y en a un petit peu partout, plus tout ce qu’il y a en amont au niveau des industries puis au niveau de l’agriculture proprement dite.
Dans les industries agroalimentaires, en général, il y a quand même relativement peu de déchets valorisables parce que c’est des processus où on va chercher à tout optimiser, tout valoriser, tout exploiter. Les gros leviers pour l’instant qui n’ont pas été encore suffisamment attaqués c’est vraiment au niveau de la distribution et des usagers finaux.
Levier n°2 : la surconsommation de protéines
Il y a un levier qu’on oublie aussi souvent, c’est le levier de la surconsommation. Quand on regarde aujourd’hui la consommation de protéines, grosso modo un adulte a besoin de 60 g de protéines par jour, or on en consomme entre 80g et 90g, c’est à dire qu’on mange beaucoup trop de protéines par rapport à nos besoins physiologiques.
Pour la majorité d’entre nous, on est des sédentaires, on n’a pas besoin d’autant de protéines, et donc voilà : quand on dit qu’on mange trop, ce n’est pas juste une chanson, c’est bien une réalité.
On mange trop et notamment on mange trop de sucre, trop gras, trop solide, trop salé, ça c’est bien connu et ce qu’on oublie de dire c’est aussi trop de protéines.
Alors nous on ne préconise pas d’aller vers des scénarios de – 70 % de consommation de viande à l’horizon 2050, ça nous paraît quand même difficile à atteindre, alors on s’oriente vers le -50%, ça paraît déjà plus raisonnable, même si ça reste encore très difficile .
Ce -50% de viande, on pense qu’on peut faire à peu près la moitié du chemin simplement en réduisant la surconsommation de protéines d’origine animales, avant même de parler de substitution par des protéines d’origine végétale.
Levier n°3 : modifier son régime alimentaire et substituer une partie des protéines animales par des protéines végétales.
Et ça c’est intéressant parce que les protéines d’origine végétale, il y a plein de sources : des protéines il y en a dans plein de végétaux, à commencé par les céréales : les céréales c’est quand même un de nos principaux apports de protéines.
Et puis l’autre apport, c’est les légumineuses. Alors les légumineuses c’est les lentilles, c’est les pois chiches, c’est tous les haricots secs etc, donc là il y en a beaucoup.
Simplement, cuisiner les légumineuses aujourd’hui, c’est compliqué. Spontanément, on arrive le soir après le travail à la maison, on se dit « qu’est-ce que j’ai au frigo » et pas qu’est-ce que je vais mettre à tremper, et puis il sera prêt pour demain matin au petit déjeuner, quoi !
Bon c’est pas comme ça que ça se passe et donc ça reste un peu compliqué, ça demande une organisation etc. Donc c’est vrai qu’on perçoit bien que c’est une contrainte pour pour les gens.
En même temps les légumineuses ça a plein d’intérêts.
On peut s’organiser pour anticiper et les préparer.
L’intérêt des légumineuses
Il y a aussi des intérêts agronomiques pour les légumineuses, donc on encourage le retour des légumineuses dans l’alimentation et dans la cuisine, sachant qu’il y a un certain nombre de contraintes.
Il y a aussi un intérêt des légumineuses du point de vue climat, du point de vue de l’empreinte carbone de l’alimentation, parce que les légumineuses réalisent une fixation symbiotique de l’azote : ça permet d’éviter de fixer l’azote par l’autre voie qui est la voie de la chimie, c’est à dire la production d’engrais azotée (pour faire un kilo d’engrais il faut à peu près 1 kg de gaz le gaz naturel fossile)
En fait on va fixer de l’azote dans les légumineuses, dans toute la plante, donc que ça soit la partie aérienne – les graines qu’on va récolter, et puis la partie racinaire ou la tige, qui est aussi riche en azote et qu’on va laisser sur place. Et donc quand on a des cultures de légumineuses, on réduit de beaucoup la fertilisation de la culture suivante, de céréales par exemple.
Le fait de tourner entre les légumineuses et des céréales, c’est ce qu’on appelle la rotation des cultures, en agriculture c’est pratiqué depuis longtemps – tu te souviens peut-être des rotations bienales ou triennales au Moyen-Âge ! Les rotations c’est un principe de base de l’agronomie, on ne cultive pas la même plante tous les ans sur la même parcelle.
L’impact des produits importés dans l’empreinte carbone de l’alimentation
F.C : dans le rapport aussi on parle des produits importés. Il y a un scénario, « coopération territoriale », qui permet de les réduire. De quel produit est-ce qu’on parle quand on parle de produit importés ?
C.C : alors on parle principalement de deux catégories de produits : il y a des produits qu’on importe parce qu’on ne peut pas les produire chez nous : c’est les produits tropicaux, le café, le cacao, le riz qui est très grande partie importé etc
Et puis il y a des produits qu’on importe parce qu’ils sont plus compétitifs que nos productions locales, et donc le principal produit qu’on importe et qui est dans ce cas là, c’est le soja et les tourteaux de soja, qui ne servent pas à l’alimentation humaine, qui servent à l’alimentation animale, donc les vaches, les porcs, les volailles.
Le soja on l’importe très majoritairement des Amériques : Amériques du Sud, Brésil, Argentine, et États-Unis, donc le soja c’est le gros morceau en termes de de quantité de transport, donc d’impact sur la consommation d’énergie pour le transport, les émissions de CO2 associées etc
C’est donc impact qui est directement lié à la consommation de viande, c’est pas du tout de soja pour les végétariens qui représente des quantités qui sont tout à fait tout à fait mineures !
Ensuite il y a les émissions de CO2 qui liées au transport en avion, ça ne représente pas des quantités très importantes mais quand même, ce n’est c’est pas tout à fait négligeable. Ça ce sont des produits frais, c’est des crevettes d’Équateur par exemple, ça peut être aussi des fruits, et donc sur cela la recommandation c’est de réduire au maximum la consommation de ces produits, qui ne sont pas un impératif absolu.
Faut-il arrêter totalement la viande de bœuf pour éviter les émissions de méthane ?
Il faut bien distinguer les deux grandes catégories d’élevage : on a ce qu’on appelle les ruminants, et ce qu’on appelle les monogastriques (= un seul estomac, NDLR).
Donc les ruminants c’est principalement les vaches ,on a aussi des moutons ,et puis un tout petit peu de chèvres, et les monogastriques c’est les porcs et les volailles.
Les ruminants sont nourris principalement avec de l’herbe, donc soit de l’herbe sur prairie naturelle, soit de l’herbe des prairies temporaires, donc des prairies qui vont rentrer dans cette rotation dont on parlait tout à l’heure.
On a une troisième catégorie qui sont les les fourrages. La plus grosse culture fourragère à 90% c’est le maïs, donc c’est l’ensilage de maïs qu’on va récolter, la plante entière, on va la broyer, on va la conserver sous forme d’ensilage, donc c’est une fermentation qui permet de conserver le maïs pendant toute la saison d’hiver.
Et puis ensuite on va donner aussi aux ruminants ce qu’on appelle des concentrés, c’est des céréales, c’est des mélanges souvent de céréales, ça peut être des tourteaux de soja, puis ça peut être plein de sous-produits de l’agroalimentaire (pulpe de betterave, distillerie de céréales etc) donc en général des matières qui sont riches en protéines, c’est pour ça qu’on les appelle des concentrés, parce qu’ils sont beaucoup plus concentrés que les fourrages. Voilà donc tout ça ça sert à nourrir les ruminants.
De l’autre côté on a les mono gastriques, eux on les nourrit exclusivement avec des concentrés, donc avec du grain, avec des tourteaux, avec des choses comme ça. Comme les humains, ils sont pas capables de manger de l’herbe, de l’ensilage de maïs ni de la luzern ni du Trèfle etc
Ils ont chacun leurs avantages et leurs inconvénients. Les inconvénients des ruminants, c’est les émissions de méthane.
L’avantage c’est que les ruminants sont capables de manger de l’herbe et donc de valoriser ces prairies permanentes, qui sont des espaces qui génèrent beaucoup d’aménités paysagères, de biodiversité, de régulation des cycles de l’eau, de stockage de carbone etc.
Il ne faut pas non plus oublier que les ruminants, outre leur capacité à maintenir les prairies naturelles, ont la capacité à produire du lait, ce que font ni les porcs ni les volailles.
Donc il y a beaucoup d’intérêts à conserver des prairies permanentes en faisant pâturer des ruminants, alors que les monogastriques (porc et volailles), eux, sont nourris exclusivement avec des grains, donc il faut des terres arables, ce qui entre en compétition directe avec l’alimentation humaine.
Donc en gros on peut faire le choix entre soit on mange directement les céréales, soit on alimente les poulets avec des céréales, et on mange les poulets. Pour faire un kilo de protéines de poulet, il faut 3 kg de protéines de végétaux, donc si on mange les céréales directement, on divise la consommation de ressources par 3 à quantité de protéines identiques.
C’est pour ça qu’on comprend d’où viennent les émissions de gaz à effet de serre de la viande : c’est qu’on concentre du grain dans un matériau qui est la viande, il y a des déperditions car les animaux ont un métabolisme qui fait qu’une partie de leur énergie est dépensée pour maintenir leur métabolisme, marcher etc
Nous on dit, chaque type d’élevage, chaque type d’animaux, a ses avantages et ses inconvénients.
On ne peut pas décemment faire la somme entre ce qu’on perd en biodiversité d’un côté, ce qu’on gagne en climat de l’autre. Il faut vraiment associer les deux, et donc comme on a du mal à dire qu’il y a vraiment un type d’élevage qui est mieux qu’un autre, nous on dit « il faut tout diviser par deux ». Globalement, il faut tout diviser par deux.
L’agriculture peut-elle être neutre en carbone ?
F.C : ces deux scénarios dont on a parlé, c’est les meilleurs en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre : est-ce que la réduction est suffisante, est-ce que c’est compatible avec les objectifs du GIEC ? est-ce que ces scénarios atteignent la neutralité carbone ?
Alors le scénario S1 on est à – 60% de l’émission globale de gaz à effet de serre. Grosso modo l’objectif c’est de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture.
On peut pas atteindre la neutralité carbone en agriculture parce que comme je disais, c’est des gaz qui sont liés à des phénomènes naturels, et donc dès qu’on fertilise, même si on fertilise une culture avec du fumier comme j’ai expliqué tout à l’heure, on a quand même des dégagements de protoxyde d’azote.
On ne peut pas ne pas avoir du tout de dégagement de N2O, et puis si on veut pas du tout de méthane, il ne faut plus de vaches. Alors les technologies qui permettent de réduire les émissions de méthane, il y a des solutions techniques qui sont encore à l’étude, sur lesquelles il y a plein d’incertitudes, donc nous on a un peu mis de de ces solutions là.
Il y a des progrès faisables mais en aucun cas c’est la solution pour réduire les émissions de méthane. Pour réduire les émissions de méthane, 80% de la solution c’est réduire le cheptel.
Voilà donc on ne peut pas être à zéro carbone, mais dans les scénarios de neutralité climatique il n’y a aucun scénario qui a zéro émissions brute de gaz à effet de serre.
En fait il reste toujours un talon d’émission de gaz effet de serre dans tous les scénarios globaux, pas que pour l’agriculture, et on voit bien – donc ça c’est dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC) par exemple – aujourd’hui dans la SNBC on a en 2050 divisé les émissions de gaz à effet de serre, on a pratiquement sorti tout le gaz carbonique de des transports et du bâtiment, et il va rester deux sources : il va rester un peu dans l’industrie parce qu’on va continuer à produire du ciment, et puis il va rester l’agriculture avec le méthane et le protoxyde d’azote.
Et puis on a des émissions négatives, (puits de carbone), ces émissions négatives c’est quoi : c’est le stockage de carbone par l’agriculture et par la forêt.
Aujourd’hui on a une forêt française qui continue à stocker du carbone, alors même si le puit carbone a été révisé à la baisse récemment – c’est un gros souci mais ça reste quand même un puit net de carbone – la forêt continue à augmenter en surface et augmenter en volume
L’objectif c’est que ce puit de carbone compense les émissions des secteurs où on ne peut pas aller plus loin que ce qu’on a fait à l’horizon 2050, en tout cas sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, donc on parle de la neutralité climatique c’est bien ça c’est que les émissions-résidus sont compensés par les puits de carbone.
Des études pour aller plus loin
C.C : Pour ceux qui s’intéressent ces questions-là, pour aller plus loin donc une première étude s’appelait le contenu « énergique carbone de l’alimentation des ménages » qu’on a fait il y a 4 ans maintenant.
Il y en a une deuxième, on a regardé plus spécifiquement les importations, les différences d’empreintes carbone en fonction du régime alimentaire, en fonction aussi du régime bio et pas bio, c’est aussi un sujet.
Et puis donc cette étude sur la prospective qui est sorti récemment. Et puis à Solagro on a aussi fait pas mal de travaux sur la place de l’élevage, sur le rôle des bioénergie, etc donc je vous invite à pour ceux qui veulent aller plus loin à regarder ces documents
Et puis pour terminer, on a aussi produit avec la fabrique écologique une note qui est présentée en ce moment même au salon de de l’agriculture, une note sur la place des ruminants et des prairies dans la transition écologique.
En gros le dilemme c’est comment est-ce qu’on fait pour garder les prairies permanentes, qui offrent des aménités, tout en réduisant l’élevage qui génère beaucoup d’impact, et donc c’est trouver le bon compromis, avec des propositions aussi.
Donc on examine le la place de l’élevage avec les aspects positifs, négatifs, les incertitudes, c’est pas tout noir, c’est pas tout blanc, et on essaye toujours de poser le débat de façon nuancée, équilibrée, et comme c’est complexe, il faut prendre le temps de rentrer dans les problématiques et éviter les raccourcis de part et d’autre qu’on voit trop souvent dans ce type de débat.
F.C. : c’est passionnant et moi ça me donne envie d’aller voir les rapports, parce qu’effectivement dès que j’interroge quelqu’un sur l’agriculture je découvre un monde que je ne connais pas et qui est vraiment passionnant et très complexe effectivement. Comme tu disais, c’est le vivant, c’est le monde du vivant, il est très complexe, et il faut éviter de faire des raccourcis trop facile de type « arrêtons totalement la viande » , donc je pense que ça apporte beaucoup de nuances dans ce débat !Donc un grand merci pour ton temps et puis bonne continuation dans tes recherches du coup !
C.C. : merci à toi aussi, au revoir
Tout d’abord, merci beaucoup pour cette interview qui comporte des points très intéressants.
Tu as raisons d’avoir abordé le point du gaspillage alimentaire : quand on voit la quantité astronomique de nourriture (y compris de la viande de boeuf) qui est jetée quotidiennement dans les hôtels de luxe, les croisières, les restaurants et les supermarchés, c’est vraiment ahurissant – comparé à cela, l’impact de l’individu moyen est relativement minime, même s’il consomme un peu trop de protéines animales chaque jour.
Merci pour ton commentaire ! Je comprends que la question du gaspillage alimentaire soit très crispante ! L’expert me disait qu’en fait le gaspillage se répartir équitablement entre les supermarchés, les restaurants, et les particuliers. Un peu de gaspillage chez beaucoup de monde, à la fin ça fait un gros impact 🙁